Il y a, bientôt un an, le Togo expérimentait la décentralisation avec les premières élections municipales organisées depuis 1987. Quel bilan dresser de ce parcours ? Notre rédaction s’est intéressée à la Commune du Golfe 3. Dans cette interview à nous accordée, Germain SOSSOU, Conseiller municipal dans ladite commune nous parle des réalités de cette expérimentation et de la cohabitation entre tous ces courants politiques.
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Bientôt un an que vous êtes élu au conseil municipal de la Commune du Golfe 3. A ce jour, quel bilan faites-vous de l‘expérimentation de la décentralisation dans votre commune ? les populations sont-elles collaboratrices ? les décisions du conseil municipal sont-elles approuvées et partagées par vos communautés ?
Tout d’abord je voudrais saisir l’occasion pour saluer vos lecteurs et leur transmettre les civilités de notre groupe ‘’Les Forces de l’Avenir’’.
Je salue particulièrement votre sens élevé de responsabilité et le souci que vous avez de suivre de près la nouvelle expérience à la base dans notre pays qu’est la décentralisation, malgré la situation sanitaire mondiale qui amène notre pays à adopter un changement radical, dans notre mode de vie. Je voudrais profiter de l’occasion pour féliciter tous les corps sociaux de notre pays aujourd’hui au front pour éradiquer le mal et permettre à la vie de reprendre son cours normal. J’encourage nos populations à respecter scrupuleusement les instructions des autorités sanitaires pour ensemble relever le défi qui s’impose à chacun de nous.
Pour revenir à votre question. Il faut d’abord savoir que la commune Golfe 3 fait partie du grand district de Lomé, composé au total de 13 communes dont 07 dans la préfecture du Golfe et 06 dans la préfecture d’Agoè Nyivé. Ma commune est donc dans la préfecture du Golfe. Douze (12) grands quartiers forment la commune Golfe3 avec une population qui avoisine les 130 000hbts. Dix-neuf (19) conseillers sont attribués à ma commune, conformément à l’article 86 nouveau de la loi sur la décentralisation.
Après le scrutin du 30 juin 2019 relatif aux élections municipales, les premières du genre au Togo depuis le processus démocratique enclenché en 1990, cinq entités sur les six ayant battu campagne dans la commune se retrouvent au conseil municipal de la commune comme suit :
- Union pour la République (Unir) : 12 conseillers
- Alliance Nationale pour le Changement (ANC) : 04 conseillers
- Groupe indépendant FORCES DE L’AVENIR : 01 conseiller
- Union des Forces pour le Changement (UFC) : 01 conseiller
- Nouvel Engagement Togolais (NET) : 01 conseiller
Voici la configuration. En somme quatre partis politiques (Unir, ANC, UFC, NET) et un seul indépendant les Forces de l’Avenir dont je suis le représentant, forment le Conseil Municipal de la commune Golfe 3.
Il faut aussi ajouter que conformément à la loi sur la décentralisation et selon la taille des communes il est décidé du nombre des conseillers et par voie de conséquence, de la composition du staff dirigeant. Ainsi la commune Golfe3 a un (01) Maire et trois (03) Adjoints au Maire. À la suite du vote qui a suivi après les élections du 30 juin 2019, le Maire est de la majorité en plus des deux premiers Adjoints au Maire. La loi limitant le nombre des adjoints au Maire pour une seule sensibilité, le 3ème Adjoint au Maire est occupé par l’UFC. Pour me résumer, à la commune Golfe3, le Maire est Unir, le premier Adjoint au Maire est Unir, le 2ème adjoint au Maire est Unir en plus de deux présidences des commissions permanentes et enfin deux membres de Unir représentent la commune au district.
Les autres sensibilités ont les responsabilités suivantes : le 3ème adjoint au Maire est de l’UFC, un Rapporteur de la commission finance (NET) et un Rapporteur de la commission sociale, éducative et culturelle (Forces de l’Avenir). Ces informations, me semble-t-il, sont capitales pour la suite de notre entretien.
Le bilan des six mois que je peux faire depuis notre installation est celui de l’organisation pour permettre au conseil municipal de lancer les chantiers. Dans cette organisation, il faut comprendre la mise en place du staff dirigeant, la mise en place des commissions permanentes, l’élaboration du projet de développement de notre commune, la dotation et le vote du budget annuel, la réorganisation du service communal ; la collecte et la disposition des données pouvant faciliter le travail du conseil municipal, le vote au conseil des dispositions permettant la fluidité et l’efficacité aussi bien du conseil que du personnel administratif et la gestion ces derniers temps, de la pandémie au niveau communal.
Comme vous l’avez si bien remarqué, nous n’avons même pas encore fait un an, notre contact avec les populations n’est pas à la hauteur de nos ambitions. Néanmoins, il y a une collaboration avec les Comités de Développement de notre commune qui est, je dirais acceptable et qu’il faudrait améliorer avec des programmes pour marquer la différence entre ce qui se faisait et l’innovation que le conseil pourrait apporter. La pandémie est venue freiner l’élan et nous espérons le meilleur dans les jours et semaines à venir.
En ce qui concerne les décisions du conseil municipal par rapport à l’approbation des populations et à leur adhésion, il faut dire là aussi que les populations ne savent pas qu’elles peuvent assister aux débats du conseil municipal. Comme je l’ai dit, elles ne sont pas à ce stade, suffisamment impliquées, en tout cas, pas comme je l’entendais en venant à la commune. Les conseillers que nous sommes, devrions travailler là-dessus. C’est un exercice nouveau. Personnellement, j’ai entrepris de restituer à la base chaque trois mois le rapport de nos travaux, au conseil municipal. Le premier exercice, je l’ai fait avant la pandémie en décembre 2019. J’ai fait distribuer des invitations dans les maisons et ensuite j’ai fait informer au moyen du mégaphone. Il faut dire que le grand nombre que j’espérais pour écouter n’était pas au rendez-vous. Vous comprenez qu’il y a un travail d’éducation à faire pour que les populations comprennent leurs rôles dans le processus et pouvoir connaître leurs droits.
A présent, dressons le bilan de vos réalisations au sein de votre commune. La liste « Les forces de l’avenir » avait fait des promesses aux populations qui vous ont fait confiance. À ce jour, où en êtes-vous dans la réalisation de ces promesses ?
Effectivement notre liste a un programme de gouvernance locale en voulant prendre part aux élections communales. Nous pouvons même vous dire que nous nous étions préparés des années avant avec toutes sortes de renforcements des capacités.
Je voudrais me permettre de vous rappeler les objectifs que nous nous étions fixés : avoir sept (07) conseillers sur les 19, avoir un adjoint au Maire. Notre document peut mieux vous renseigner. Avec cette projection, nous nous sommes fixés des résultats à obtenir pour un mandat réussi. Ainsi les Forces de l’Avenir auraient réussi leur mission au travers des résultats suivants :
- 12 pistes principales de la commune Golfe 3 sont bitumées.
- Tous les quartiers sont sortis de l’obscurité et sont éclairés
- La question de l’insalubrité est résolue et dans les ménages et dans les rues de la commune
- Chaque quartier a réalisé deux projets à impact économique pour sa prise en charge financière.
- Le reflexe au niveau communal des soins de santé par le système de prévention mis en place, est une culture.
- Des projets culturels au sein de la commune fraternisant et créant des débouchés sont activés, des relations de partenariats signés.
- Le monde scolaire de la commune au travers de la plateforme « écoles assainies golfe3 » est en marche et le financement pour les métiers de l’avenir est obtenu dans la commune.
Pour y arriver, la liste a estimé le budget à 23 milliards pour tout le mandat dont 03 milliards pour la première année et le reste reparti sur les autres années du mandat. Trois piliers constituent la charpente du programme de gouvernance locale des Forces de l’Avenir :
Pilier 1 : Environnement, Santé publique et Aménagement du cadre de vie
Pilier 2 : Economie, Formation professionnelle et Emploi décent
Pilier 3 : Culture Sport, Loisirs et actions sociales.
Voilà en résumé les idées portées par les Forces de l’Avenir sauf qu’au sortir des élections, les objectifs fixés n’ont pas été atteints. Au sortir du scrutin du 30 juin 2019, les populations ont voté majoritairement les partis qui depuis des décennies, pour certains, animent la vie politique. Cela voudrait dire que pour notre groupe, il faut travailler les années à venir, à élargir notre base et espérer de meilleurs résultats. Mais pour l’heure, nous y sommes par un seul conseiller pour appuyer tout projet mettant au centre, l’intérêt des populations en attendant que celles-ci nous fassent davantage confiance.
Quelle est la nature de vos relations avec vos collègues issus des autres listes, surtout avec un maire issu du parti au pouvoir ? Arrivez-vous à faire corps avec toutes les autres tendances ? Les sensibilités politiques jouent-elles lors de vos réunions et surtout des prises de décisions ?
Il n’y a pas de relations particulières. Il y a une collaboration sur la base d’un certain nombre de valeurs. Et par rapport à ces valeurs, il faut vous dire que j’aurais aimé qu’au sein du conseil, les valeurs d’équité et de justice puissent davantage prévaloir. Il y a une précision à faire : les conseillers municipaux sont élus sur la base du suffrage direct. Ce qui n’est pas le cas des Maires, Adjoints, Présidents et Rapporteurs des commissions. Pour être Maire, ce sont les conseillers qui décident. On peut donc le dire, les Maires, les Adjoints et les autres responsables sont élus sur la base du suffrage indirect. Ceci a été bien pensé pour permettre la collégialité et l’esprit d’équipe. Dans notre commune, je doute fort que cet état d’esprit ait animé le groupe majoritaire. Exemple : l’ANC a quatre conseillers chez nous mais elle n’est pas dans le staff dirigeant. Les jeux sont faussés dès le départ. La majorité n’a pas considéré cet esprit pourtant clamé par le Maire, dès son élection. C’est le même Maire qui, six semaines plus tard, enverra deux conseillers de la même sensibilité, sa sensibilité (Unir) pour représenter le conseil au district. Au nom de la collégialité surtout que nous sommes un peu en mandat d’apprentissage, on aurait pu faire un mixage. Ce sont des faits et personnellement, j’ai déploré cet état de choses au conseil municipal. A partir de cet instant, vous chercherez en vain avec une torche en plein jour les notions de collégialité, d’équité tant prônées par monsieur le Maire.
Sur le plan politique en lien avec la gestion des affaires à la commune, nous subissons c’est clair ; parce que les rapports de forces sont totalement en faveur de Unir dans Golfe 3. Il faut travailler à changer cela aux prochaines joutes électorales. Unir a la majorité absolue au conseil municipal et décide de tout. Ce que nous faisons c’est de participer aux débats, de nous faire entendre, de tenter de convaincre sur la voie de l’équité et de la justice à suivre. En dehors des considérations politiques, le reste, ce sont des relations humaines avec des hauts et des bas. Nous avons des rapports de confraternité avec chaque conseiller et même avec toute l’équipe de la commune. Pour nous, les intérêts des populations de la commune doivent être défendus.
Au-delà de vos relations avec les collègues, évoquons également les relations entre vous, les communes, et le ministre en charge de la Décentralisation. On a vu des sorties du ministre où il donnait des injonctions aux maires, des communiqués où il plaçait les communes sous son autorité directe, et bien d’autres encore. Comment vivez-vous tout cela au sein de la commune du Golfe 3 ?
Dans le cadre de la décentralisation, il y a des dispositions qui permettent aux communes de se mettre ensemble aussi bien au Togo qu’à l’extérieur. Dans chacun des cas, la loi en la matière le prévoit. Sauf qu’il y a des insuffisances qui méritent des ajustements, je pense. À ce stade, il y a un certain nombre de dispositions que notre commune et j’imagine bien de communes, n’ont pas encore activées. Mais nous avons à titre personnel des contacts avec des conseillers d’autres communes aussi bien dans le grand Lomé, à l’intérieur du pays pour les échanges. Nous faisons le même exercice pour avoir les partenariats individuels de conseiller à conseiller dans la sous-région mais également au-delà du continent. Tout cela nous permettra d’avoir un aperçu de la mission qui est la nôtre aujourd’hui. La commune, elle, a commencé petitement avec des partenariats au Togo par exemple avec l’Université de Lomé, EAMAU, mais également dans la sous-région et entre les Maires francophones.
La loi également définit les rapports entre les communes et l’Etat. Les sorties du Ministre sont une interprétation de ces dispositions. L’article 69 nouveau de la loi sur les collectivités dans son quatrième alinéa dit ceci :
- Pour les conflits entre la commune et les services de l’Etat, le ministre concerné et le ministre en charge des collectivités procèdent à l’arbitrage.
Nous nous disons par exemple que dans le cadre des budgets des communes, le rejet du Ministre de l’administration territoriale, rentre dans le cadre de la disposition ci-dessus. Sauf que jusqu’à preuve de contraire, pour respecter l’esprit de la disposition, il fallait appréhender le concept « conflit ». Est-ce qu’il y avait conflit ? De plus, la loi dit clairement que l’arbitrage doit être fait par deux entités. Ici ç’aurait été une décision et du ministre de l’administration et de celui des finances. Au-delà du Ministre, nous avons parfois des correspondances envoyées par le Préfet dont le contenu à mon sens, fait injonction. Dans une moindre mesure, le Préfet dans ses courriers à mon entendement, a tendance à considérer les conseillers comme des employés ayant fait « j’ai l’honneur ». Lorsque par exemple le Préfet pour une activité, voudrait que les conseillers y soient, parfois le courrier s’il n’arrive pas la veille, il se termine toujours par une formule qui fait injonction « …j’attache du prix à …. ». Mais tout ceci je crois est à mettre au dos de l’apprentissage de la nouvelle donne. Nous espérons que les autorités sauront donner du respect aux populations en accordant un minimum de considération aux élus locaux qui eux-mêmes se doivent de prendre conscience de leurs espaces de pouvoirs.
Dans l’une de ses sorties, le ministre Payadowa Boukpessi a estimé que les budgets des communes ont été rejetés parce qu’il y avait un grand flou. Que vous reprochait-on concrètement ?
Vous savez, pour réaliser les budgets de nos communes en tout cas dans Golfe 3, nous avons été assistés par des personnes du domaine relevant de l’Etat. Ces personnes ont déjà pour certaines eu à exercer avec les délégations spéciales. C’est vrai que les donnes ont changé de même que les ambitions. Mais nous avons en ce qui concerne ma commune, respecté les procédures. Avant que le budget d’une commune arrive au ministère, il passe par la commission des finances, ensuite il est passé à la loupe par la trésorerie des communes qui dispose de l’arsenal pour faire respecter les normes. J’ai personnellement eu la chance de suivre chez nous le processus jusqu’à son adoption au conseil municipal. Le budget annuel exercice 2020 de ma commune a été ensuite défendu par le staff et le rapport que nous avons eu a été positif. Par rapport à nos ambitions et ce qui a été fait, rien n’a été touché à la transmission au gouvernement. Par la suite, notre budget a été rejeté comme tous les autres. Ce fut une grande surprise. Mais nous mettons tout cela dans le panier de l’apprentissage.
Je voudrais me permettre de conclure sur cette question que les communes sont à l’épreuve des limites de leur autonomie vis-à-vis de l’autorité suprême qui a amorcé le processus mais qui doit avoir le courage de laisser les choses se faire progressivement, quitte à se corriger à partir des erreurs. Nous renverrons d’ici peu, en respectant les dispositions budgétaires en lien avec le délai, les corrigés.
Un mot pour clore cet entretien ?
Les Forces de l’Avenir pensent que les élections locales sont une opportunité pour apprendre de la base, au sommet. C’est pour cela qu’elles attachent une grande importance au processus qui formatera des nouveaux responsables politiques dans notre pays. Jadis on crée une formation politique sans une base politique et chercher à exercer de suite les plus hautes fonctions politiques. On peut devenir ministre sans avoir été une fois élu. On est au gouvernement sans un mandat électif. Le processus dans une vingtaine d’années va corriger le parcours des hommes d’Etat dans notre pays.
Tout en travaillant pour relever le défi du développement local, le processus pour les Forces de l’Avenir reste une opportunité pour la mise en œuvre de leur concept : « La marche républicaine ». Elles exhortent les jeunes à servir avec patriotisme leurs différents milieux en gravissant les échelons patiemment mais résolument, en devenant des responsables par le mérite et le travail acharné. Être meilleurs que les prédécesseurs et une référence pour les poursuivants ; voici la raison d’être des FORCES DE L’AVENIR.
Elles s’imposeront une meilleure organisation les années à venir sur toute l’étendue du territoire, dans l’optique d’être plus présentes dans presque toutes les communes du Togo, incha Allah, aux prochaines élections communales. Leur présence modeste à la commune Golfe3 permettra un large partage d’expériences les prochaines années. D’ici là, elles entendent apporter leur modeste contribution en prenant part aux débats et travaux dans la commune Golfe3. Elles espèrent que les valeurs de justice et d’équité guideront ceux qui ont le destin de la commune Golfe 3 et partant toutes les communes du Togo, afin que les populations se rendent enfin compte des aspects positifs du processus de décentralisation.
Je vous remercie et remercie tous vos lecteurs.